Une histoire de deuil et de sevrage
« Je te quitte. » Trois mots qui suffisent à plonger leur auteur ou leur destinataire dans un long tunnel. D’après une étude de l’Insee datant de 2015, le nombre de séparations chez les couples âgés de 25 à 45 ans a augmenté entre 1993-1996 et 2009-2012, passant de 155 000 à 253 000 par an en France. En 2013, une personne sur trois avait déjà subi une rupture, et peut-être, l’ouragan émotionnel qui s’ensuit : « C’est un effondrement du système, tous les repères s’effondrent d’un coup », résume Véronique Kohn, psychologue « spécialiste de la relation amoureuse ». D’un point de vue psychique, la rupture s’apparente à un processus de deuil, avec des étapes similaires – déni, tristesse, colère, puis acceptation.
Mais le chagrin d’amour est aussi une histoire de chimie. L’organisme est forcé d’opérer un véritable sevrage en se passant subitement de l’ocytocine, l’hormone de l’amour et de l’attachement, et de la dopamine, la molécule du plaisir ou « du bonheur ». Le corps est parfois mis à rude épreuve pendant ce que Véronique Kohn compare à une désintoxication : sueurs froides, crises d’angoisse, insomnies, manque d’appétit, voire insuffisance cardiaque aiguë si l’on souffre du syndrome de Takotsubo, également surnommé « syndrome des cœurs brisés ».
Trouver des ressources
Simon, 30 ans, a subi certains de ces symptômes il y a dix ans, pendant un échange universitaire en Argentine. Un week-end de retrouvailles, sa copine fait tomber le couperet, s’étant entichée d’un autre garçon. L’étudiant est en état de choc, il ne s’y attendait pas. Puis il se retrouve seul dans un pays dont il maîtrise encore à peine la langue. « Je me sentais vraiment au bout du monde, rejoue Simon, qui a passé plusieurs mois enfermé dans sa chambre, à ruminer. Je pleurais tous les soirs, je n’avais d’intérêt pour rien… j’avais l’impression que ma vie était foutue. »
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Un discours que Valérie Kohn entend régulièrement lors des consultations individuelles ou des groupes de parole qu’elle organise. « Il faut veiller à ne pas s’isoler, car on reste avec des pensées envahissantes et on les alimente. Ce qui aggrave notre cas et nous enfonce », prévient la psychologue. Au bout de trois mois, aidé par un ami, Simon se met finalement « un coup de pied au cul », déterminé à ne pas gâcher son séjour universitaire tant attendu. « Une sorte de révolte contre moi-même alors que je n’avais aucune énergie », confie-t-il. Le jeune garçon se plonge dans diverses occupations – sorties, cours, club de foot, excursions à travers le pays. « J’ai commencé à mieux m’intégrer, à découvrir la ville et à rencontrer d’autres gens. Finalement, la rupture a été décisive pour que je me débrouille seul. Je me sentais plus libre. Et j’ai fini par rencontrer quelqu’un d’autre », raconte Simon.
Les moyens trouvés pour aller de l’avant sont nombreux. Julien, quitté quelques mois avant son mariage, s’est débarrassé de toutes les affaires de son ex, puis a déménagé dans une autre ville. Emilie a taillé la route et a ouvert un blog de voyage. Vincent s’est lancé dans la fabrication de meubles. Lucie a démarré la salsa. Amélie, l’écriture. Certains se réconfortent avec les podcasts S’aimer comme on se quitte de Lorraine de Foucher ou Chagrins d’amour de Marie Gouillier.
Renverser la vapeur
« Si on fait un vrai travail d’introspection et qu’on questionne sa part de responsabilité, la rupture est une expérience intéressante à traverser. On peut en tirer profit », assure Véronique Kohn, qui voit la rupture comme une « crise évolutive ». En 2014, l’artiste Allison L. Wade a transformé en œuvres d’art des textos de rupture dans son exposition It’s not you (Ce n’est pas toi) présentée à New York. Des chanteuses comme Shakira ou Miley Cyrus ont également tiré parti de leurs déceptions amoureuses. Le titre « Music sessions, Vol. 53 » de la Colombienne, destiné à son ex-mari, est devenu la chanson la plus écoutée de Spotify au moment de sa sortie en janvier 2023. Le morceau « Flowers », lui, a rapporté un Grammy à son interprète américaine. Si Simon n’a pas remporté de prix, il est tout de même sorti gagnant de sa rupture. « Ça a ouvert la porte vers un nouveau chapitre très différent de ma vie. Je ne regrette rien », conclut celui qui est désormais père de famille et heureux en couple. Preuve que la fin d’une ère marque toujours le début d’une autre.