Article préparatoire aux conférences-débats du 10 septembre 2015 à Castelnau-le-Lez et du 23 octobre 2015 à Paris
On pourrait penser que l’on n’aime jamais trop, que les valeurs du don de soi, de générosité, de chérissement de l’être aimé sont des valeurs nobles à cultiver et non à remettre en question.
Et pourtant… N’est-ce pas problématique de se pencher tellement sur l’autre pour finir par se décentrer de soi jusqu’à ne plus se sentir du tout ? Certains à leur insu, coiffé d’un scénario de Sauveur, ne peuvent s’empêcher de donner toujours et encore, de chercher à rendre l’autre heureux.
Ce qui caractérise ceux qui aiment trop, c’est la systématisation de l’attitude du don, ils ne peuvent s’empêcher d’être attentionnés, agréables, avenants pour combler les attentes supposées importantes du partenaire.
Et en règle générale ce goût du don va se poser de façon plus large dans les autres sphères de leur vie. Je suis celui qui est le « champion » pour sentir de quoi les autres ont besoin ou envie, avec mes antennes intuitives, je sais faire plaisir mieux que quiconque..
Dans un premier temps pour la personne en relation avec celui ou celle qui aime trop, les attentions sont charmantes, vécues comme régénérantes, rafraichissantes. Il peut alors en se sentant si investi déployer à son tour une envie de donner en retour.
Puis curieusement au bout d’un certain temps, il risque de se sentir comme vidé de sa substance, vampirisé, envahi par trop d’amour.
D’autant plus qu’étant au centre de l’attention il est celui qui pourvoit aux besoins affectifs, le principal responsable de rendre heureux ou malheureux. Un poids bien encombrant parfois sur de frêles épaules..
La loi du Tout ou Rien s’exerce : Je suis tout pour toi, tu es tout pour moi, je veux être au centre de ton attention, avec tout ce que je fais pour toi…si tu m’échappes , si tu as d’autres centres d’intérêts, si tu te détournes de moi je suis en manque. Et je te le fais payer (reproches, bouderies, fermeture du cœur..)
Une forme de marchandage cruel, je crois ou j’ai cru que si je te donnes tout de moi, tu vas ainsi te sentir si aimé que tu ne pourra pas te passer de moi.
Je me déserte, je me quitte pour me pencher sur l’autre, me dévouer tout entier à lui.
Le positionnant au centre de ma vie, je m’aveugle, ne sachant plus pourvoir à mes besoins d’être regardé, aimé sans passer par lui. Et je lui donne alors tellement de pouvoir !!
Je le rends otage de mon amour, et la tyrannie commence là.
Derrière le masque du donnant, de l’aimant, je suis celui qui exige être important pour lui, mais sans que ce jeu ne soit dévoilé… je dis haut et fort : « Je t’aime, je t’aime, je veux que tu sois bien, je ferais tout pour que tu sois heureux… » quitte à m’oublier, à méconnaître mes zones d’inconfort en me désertant ainsi, et surtout je clame que je n’attends rien en retour… Mais en vérité, de manière pas très consciente, j’attends, je mendie des regards en retour, sans vouloir le reconnaître.
Sommes nous toujours conscients de nos zones d’ombre ? Pour notre image de marque, mieux vaut se targuer d’être quelqu’un de généreux, donnant que d’être mendiant d’amour qui attend un retour, un signe de reconnaissance pour se sentir important, voir exister.
De fait, ceux qui aiment trop ont inscrits la plupart du temps dans leur enfance une décision scénarique à un moment crucial de détresse sous la forme suivante : je suis celui ou celle qui peut rendre mon parent défaillant, fragile heureux en me comportant en enfant sage, mature, consciencieux, en aidant ce parent, en répondant à ses attentes ; et je crois que j’ai le pouvoir de rendre sa vie meilleure ou à contrario de le rendre malheureux. ( C’est grâce ou à cause de moi ..)
Une posture bien évidemment égocentrique de la pensée magique de l’enfant petit qui ramène tout à lui faisant tourner le monde en son centre.
A l’âge adulte, cette inscription reste en trace, le parent n’est plus mais un substitut de l’objet parent est remplacé par un autre objet d’amour.
Ce programme de se vouloir indispensable, cette toute puissance de croire détenir autant de pouvoir de rendre autrui heureux ou malheureux est à l’œuvre sans se remettre en question.
Un postulat d’enfant se doit d’être revisité sous peine d’être dysfonctionnel en terme d’options de comportements à l’âge adulte.
Enfant, à chercher me façonner en fonction des attente d’un parent censé me protéger, j’ai perdu la notion de mes limites, je n’ai pas pu m’occuper de mes propres besoins, adulte, je ne sais toujours pas m’en occuper. Il m’est toujours plus simple de me pencher sur l’autre que sur moi.
Et cette stratégie d’aider, pour être important, aimable aux yeux du parent n’était-elle pas vaine ? J’ai certainement pu me rendre compte adulte que quoi que je fasse, son bien être ne dépendait pas que de moi..
S’éloigner de cette illusion n’est pas chose facile… vais je continuer de me perdre pour être digne d’être aimé toute ma vie?
Je prétends aimer mais n’est ce pas plutôt : regarde moi, je suis quelqu’un de bien !
Il ne s’agit pas pour corriger ce trait excessif d’aimer trop et mal de s’aimer soi et plus rien d’autre que soi, pour « ces trop aimants » la peur se loge d’être jugé égocentrique à l’idée de s’aimer et de prendre soin de soi.
Mais plutôt d’être de nouveau capable d’être à la fois penché sur soi et sur l’autre dans la relation.
Un exercice difficile pour les personnes du genre que je propose est de voir comment ils peuvent en entretien se sentir connecté à l’autre et connecté à eux en même temps. Leur apprendre à revenir à eux .. ce qui ne veut pas dire ne pas être en lien avec l’autre. Au début, ils sont soit dans ou je suis avec moi ou je suis avec l’autre puis petit à petit, ils vont commencer à faire des allers retours pour au final développer cette compétence de ne pas perdre la connexion à soi dans le lien.
Tout un apprentissage…
Si je cesse de passer après l’autre, je vais ainsi retrouver mon intégrité, apprendre à identifier mes propres besoins et gagner en autonomie pour ne plus me perdre dans l’autre, le sanctifiant comme un dieu.
Je vais apprendre aussi à poser mes limites, à aimer sans me déserter, me nier.
Et surtout arrêter de me mépriser par la suite d’avoir pu être si nul d’avoir tant donner à perte.
Car souvent aigri par cet autre qui ne me rend jamais tout ce que je lui offre.