Aujourd’hui le libertinage s’associe à une sexualité libérée, contextualisée par des espaces où l’on peut échanger, c’est à dire avoir des rapports sexuels libres et en groupe avec plusieurs partenaires.
Mais est-ce si exact ? Qu’est-ce qu’être libertin ?
Dans sa version d’origine, à travers l’histoire, le libertin est celui qui remet en cause les dogmes établis, c’est un libre penseur (ou libertin d’esprit) dans la mesure où il est affranchi de l’éthique religieuse. Le libertinage est proche de l’esprit libertaire avec une remise en cause de la rigidité, de l’obscurantisme religieux, et du puritanisme.
On peut dès lors s’inquiéter aujourd’hui pour un retour du puritanisme avec des normes conservatrices qui amènent plus de censure, plus d’interdits, et donc plus d’excès de transgressions sexuelles en tout genre.
Mais cette définition du libre penseur s’est petit à petit transformé en changeant de sens.
Au 18éme siècle l’écriture libertine à proprement parler prend une toute autre dimension. Elle met en scène, à travers le roman, une liberté de penser et d’agir qui se caractérise le plus souvent par une dépravation morale, une quête égoïste du plaisir. Des œuvres majeures comme les Liaisons dangereuses de Laclos ou encore Les Égarements du cœur et de l’esprit de Crébillon fils, La séduction y est un art complexe que l’on entreprend par défi, désir ou amour-propre. La femme est identifiée comme une proie à « entreprendre.
Cette conversion est encore en trace dans nos représentations actuelles.
Les pratiques libertines contemporaines (clubs libertins, échangisme, mélangisme, candolisme) s’appuient sur le matérialisme rationaliste pour contester et remettre en question, de fait, les principes jugés puritains des sociétés occidentales.
Mis cette liberté hypothétique ne se confirme pas tant que ça : en réalité dans le libertinage contemporain, les relations sont très codifiées.
Les couples qui fréquentent ces milieux là se contraignent très souvent à contrôler leur partenaire. Le sexe est autorisé mais sous conditions ; ex : que le partenaire reste à leur côté, où qu’il ne revoit pas la personne en dehors ou sans lui, ou encore qu’il n’en tombe pas amoureux.
L ‘essence du patriarcat continue de se diffuser de façon souterraine, les femmes doivent s’habiller avec des jupes, robes, talons, sont exclus les talons plats, les pantalons alors que les hommes peuvent se vêtir à leur guise.
Sur le plan psychologique, le clivage sexe cœur est le plus souvent de mise. Il est acceptable de s’autoriser une grande liberté sexuelle mis les sentiments peuvent ramener à une perte éventuelle de l’objet d’amour.
Cette peur la plupart du temps méconnue entraine des codes implicites qui posent un contrat tacite au sein de couples qui s’adonnent à l’échangisme.
Le candolisme illustre bien cette exagération de la peur dont la conséquence est le contrôle du partenaire tout en lui laissant entendre qu’il est quelqu’un d’ouvert et non normé.
Cette pratique favorise le voyeurisme et la stimulation. Le fantasme de regarder son/sa partenaire s’offrir à une tierce personne devant lui/elle s’incarne dans le réel. Mais uniquement avec l’accord du partenaire.
L’idée est ainsi de se préserver du danger : le partenaire pourrait tomber amoureux de la tierce personne…
Quelle naïveté, n’est-ce pas ?
Comment peut-on imaginer que dissocier sentiments et sexualité, ici vu sous un angle de génitalité assez direct, va éviter un engagement affectif s’il doit naître?
Quelle forme de toute puissance et de possessivité est à l’origine de cet aveuglement éventuel ?
Pourquoi pose-t-on un tel contrôle sur l’amour et surtout sur ce qui est relatif à la sexualité ?
Le besoin de rendre permanent l’amour au sein du couple formé, l’idée de garantir davantage une stabilité des sentiments en se créant de telles barrières soi disant protectrices n’est-elle pas tout bonnement illusoire ?
N’est-on pas au courant du principe de l’impermanence qui régit l’existence, que tout ce à quoi l’on est attaché va disparaître un jour comme dans un rêve ?
Manifestement pas. Comme si inventer de telles pratiques si codifiées pouvait cautériser la peur de perdre.
Mais reprenons ce en quoi le libertinage évoque et suscite encore :
Beaucoup de fantasmes. Le fantasme est une création de l’imaginaire pour conserver et exacerber la tension du désir. Si le fantasme n’existe pas le désir s’use car le réel déçoit. Il perd de sa saveur. La satisfaction du désir nuit au désir.
Donc les fantasmes galopent rien qu’en évoquant le mot libertinage, presque un goût de transgression, d’être hors norme.
Et ces considérations sous forme de préjugés sont monnaies courantes surtout pour ceux qui n’ont guère explorés leur sexualité.
Dès qu’il est question de transgresser la morale judéo chrétienne ou toute autre morale religieuse qui prône des actes bons et d’autres mauvais concernant la sexualité dans le couple et hors couple, un clivage se forme. Les trois religions du livre sont concernées sur cette question de la sexualité et du couple.
Comme un acte schizoïde, une dissociation s’étend entre la sphère privée et publique.
L’illustration est caractérisée dans les sociétés traditionnelles, répressives normées comme dans certains pays où plus la sphère publique est rigide plus la sphère privée compense par des actes transgressifs.
Beaucoup d’interdits sont appliqués et imposés comme par exemple le port de la Burka pour les femmes, se couvrir pour ne pas attiser le regard, rester à la maison s’occuper des enfants, ou sortir dans les hammams entre femmes mais pas dans les bars où seuls les hommes sont affairés pour ne pas se montrer de manière ostensible, toutes ces coutumes occasionnent une envie de transgresser ces règles par des fantaisies comme des dessous affriolants , des parties fines admises et cachées, de la prostitution avérée et violente ( voir le film « much loved » sur la prostitution marocaine)
Plus la sexualité est tabou et chargée de fantasmes, plus la pornographie, la déviance, les fantasmes fleurissent..
Et dès que l’on bascule dans un excès de constrictions des valeurs libertaires avec des dogmes établis au nom d’un idéal de pureté, de chasteté, de bien fondé pour préserver la famille, il règne en maître son opposé un excès d’éclosion de libertés a-morales pour augmenter un sentiment de liberté, de ne pas se sentir soumis à des règles imposés de l’extérieur par une société qui se veut toute puissante avec une voie unique d’un discours qui connaît la vérité.
De nouveau, ne peut-on percevoir une grande naiveté s’acheminer dans l’esprit de ces sociétés idéalistes de vérité religieuse, comme un enfant a recours aux lois et aux croyances d’un parent fort pour se sentir rassuré?
A dicter des règles de conduite précises sur la vie sexuelle de bons citoyens pratiquants pour gagner une vertu à toute épreuve, au nom de « c’est pour ton bien » les vérités prononcées par la voie d’une poignée d’humains dirigeants peuvent-elles être interrogées ?
Plus les mœurs redeviennent conservatrices, plus le regain du puritanisme augmente et plus la violence faite sur les femmes augmente également.
Le patriarcat pourra-t-il s’essouffler un jour ?
Certains et certaines d’entre nous concernés par le sujet veillent à contrebalancer le poids du patriarcat par un faire valoir des valeurs du féminin sacré. Mais est-ce suffisant ?
En résumé, on pourrai dire aujourd’hui que le libertinage , pratique issue d’un contrepoids de trop de censure de la vie sexuelle véhiculée par le judéo-christianisme, se meut comme plein d’autres tentatives de faire vivre la liberté, l’axe soumission/rebellion s’y inscrit clairement.
Pour se rebeller, clubs échangistes, boutiques de vente de sex toys fleurissent au coin des quartiers chics. Le sexe se veut libre. Et se rend accessible à tous, ce qui a comme avantage de diminuer la charge affective forte posée dessus.
Et lorsque la permissivité augmente, les relations hommes-femmes se simplifient, les abus sexuels diminuent d’autant.
Mais ce vent de liberté dont nous rêvons est controversé, souvent une négociation avec nos peurs ancestrales se fait sentir puisque le contrôle est la plupart du temps au rendez-vous dans la plupart des pratiques soi disant libres et ouvertes….