Tout simplement parce que la timidité représente l’un des contextes les plus courants où nos inhibitions nous empêchent de donner suite à nos élans et nos désirs,ceux-ci étant les signes de notre élan vital.
Une personne sujette à la timidité, ressent ainsi une impulsion d’agir, de prendre une initiative et simultanément une une impulsion de sens opposé qui vient stopper l’élan en plein vol.
Cette tension entre élans antagonistes suscite chez le sujet « timide » un sentiment de paralysie, de frustration et d’impuissance qui le plonge dans une profonde insatisfaction.
A cette frustration de premier niveau s’ajoute par ailleurs souvent un second niveau de souffrance sous la forme d’un sentiment de culpabilité, ou de blâme qui peut prendre la forme d’un jugement sur soi « pourquoi je n’y arrive pas ? Les autres le font pourquoi pas moi ? ».
Ce cercle vicieux vient ainsi entretenir et amplifier la souffrance :
Inhibition –> jugement –> confirmation du scénario de vie négatif (« c’est toujours pareil, je le savais d’avance, je ne vaux rien, je ne mérite pas d’obtenir ce que je veux ») –> renforcement de l’inhibition…
Si on observe ce processus, nous nous apercevons que le conflit intérieur entre « j’ai envie » et « j’ai peur » s’organise pour que la plupart du temps le « j’ai peur » prenne le dessus.
Pourquoi ? Parce que tout simplement des mémoires du passé ressurgissent dans le présent. Au moment où une envie « d’aller vers » se présente, un engramme comme marqué au fer rouge dans notre conditionnement nous dit « non n’y va pas ». Ce scénario conditionné résulte la plupart du temps d’une blessure infantile, l’enfant ayant fait l’expérience de rejets, de critiques négatives et malveillantes, de jugements ayant suscités de la honte, ou développé la croyance que l’on ne méritait pas d’obtenir ce que l’on désirait.
Et l’enfant petit ne peut pas se penser comme une bonne personne, il se prend pour le « mauvais objet ».
Il projette sur le parent une image idéale de bon objet car c’est moins insécurisant pour la relation que de mettre en cause la légitimité du parent dont toute notre survie dépend.
L’enfant va développer un clivage intérieur et met en oeuvre des mécanismes d’autodestruction et de haine de soi qui visent en première instance à préserver la relation avec le parent et donc sa survie.
A ce moment là le conflit est intériorisé. Si le rejet, la critique ou l’humiliation est répétée, l’enfant se déconnecte de son corps, de ses besoins réels essentiels pour se forger des identifications basées sur la honte.
Mais l’enfant contient beaucoup de colère contre le parent, couplée à une peur de laisser la colère s’exercer pour ne pas perdre le lien.
Cette colère une fois adulte va s’exprimer sous forme de passage à l’acte sur soi (figement, peurs chroniques, isolement social, symptômes de dissociation) ou sur l’autre
: impossibilité de contrôler son agressivité par des cris, insultes … (par exemple les réconciliations sur l’oreiller après s’être disputé sont des manières sur le plan de la relation intime de gérer ce conflit interne).
Si cela devient trop douloureux, la personnalité en devenir va osciller entre un sentiment d’impuissance et une contre identité inversée, c’est à dire qu’elle va se construire une personnalité avec un fort besoin de prouver au monde entier (désir de reconnaissance, de grandiosité…) qu’elle réussit, qu’elle gère et maîtrise, ce qui va encore aggraver la dérégulation du système nerveux. Cette dérégulation crée des troubles de l’identité, qui génère des distorsions de la force vitale et donc va laisser des traces sur la libido, l’énergie de vie, autrement dit les sentiments d’amour et la sexualité
Cet engramme interfère encore à chaque fois que le stimulus qui est désiré ressemble à celui d’autrefois, par un phénomène de généralisation on ne sait plus quelle est l’origine de cette inhibition de l’action. Les jugements négatifs des « timides » sur soi entraînent un cycle infernal de détresse , ces pensées dérèglent aussi le système nerveux, les pensées récurrentes synthétisant des hormones de stress qui se déversent dans le sang et les organes.
Mais derrière ces pensées dévalorisantes sur soi, une colère ou rage contre l’autre est refoulée, méconnue, stockée, latente, un désir de prendre sa revanche, de renverser les rôles, de se révolter contre toute forme d’autorité. Cette colère stockée et non projetée peut se sublimer dans un engagement social compensatoire le plus souvent excessif et dangeureux, pouvant débouché un très fort clivage entre différents pans de la personnalité, et parfois sur un burn-out…
Cette colère refoulée peut également se transformer en une énergie sexuelle débordante, un désir de séduction et de conquête infini de nouveaux partenaires. Quand quelqu’un est en colère, il a « la tête chaude dit-on » quand quelqu’un est éveillé sexuellement on dit qu’il est chaud. Il y a une connexion entre la colère et la sexualité, et si la colère ne s’exprime pas on observera plutôt un profil masochiste.
Donc les personnes inhibées dites timides, font partie de celles qui ont probablement dû réprimer leur saine colère contre un parent défectueux et cette colère est retournée contre elles sous forme d’inhibition de l’action, et ceci de manière inconsciente pour ne surtout pas perdre mettre en cause l’image sécurisante de la personne désirée.
Elles vont aussi avoir tendance à s’adapter à l’autre de manière excessive, ne pas montrer de façon ostentatoire leur désapprobation et accumuler des contentieux qui finiront par polluer la relation de nombreux non-dits. Ces non-dits finissent soit par se dire mais sous la forme, pernicieuse ou explosive, de critiques négatives, de jugements passifs/agressifs et peu de diplomatie en général. Dans le cas contraire, le timide implose et finit par somatiser ou générer un passage à l’acte (rompre ou s’arranger pour que l’autre rompe le lien).
Alors comment faire pour que la timidité ne soit plus vécue comme une telle source de blocage irrépressible ?
La piste de rencontrer sa colère et de pouvoir s’autoriser de plus en plus à l’exprimer sans qu’elle soit associée à un danger de violence va aider le timide à débloquer l’énergie vivante mais contenue de la révolte.
La remise en question des messages de dévalorisation peut faciliter un retour à une meilleure estime de soi.
Est-ce vrai que je ne suis pas capable de.. ? peut passer à « je suis fier de … »
Reconnaître ses qualités, les considérer, les honorer, plutôt que de s’acharner sur les défauts..
La timidité est aussi une marque de discrétion, et une personne réservée paraît secrète, elle peut être attractive par rapport à d’autres personnalités excessivement extraverties jugée envahissante ou peu à l’écoute d’autrui.
Quand nous nous sommes définis comme quelqu’un de timide cette croyance devient une vérité, on confirme nos croyances en les vérifiant et en les auto-validant toujours et encore.
Revenir sur cette conviction fondatrice de se croire craintif, timide peut changer l’inscription. Je peux être timide parfois et parfois l’inverse, j’observe comment je deviens acteur et puissant dans certaines situations et je les transpose à ces situations où je me vois timide.
Apprendre à imaginer le pire et à faire comme si cela allait vraiment arriver comme par exemple : oui vous allez perdre cette relation importante pour vous, et ensuite qu’imaginez vous ? Je vais souffrir, et vais ensuite pouvoir relativiser – car l’équipement d’un adulte pour faire un deuil n’est pas du tout le même que celui d’un petit enfant bien plus démuni.
Oser le rejet est aussi une piste intéressante, pour ceux qui ont des difficultés à oser séduire la personne de leur choix, tout simplement de se donner comme objectif de se faire rejeter, en jouant ce rôle du perdant, c’est ce qu’ils savent faire puisque c’est ce qu’ils se disent, donc le projet ici est gagnant quoi qu’il arrive.
Imaginer la personne en face de nous toute puissante, l’auréoler d’une image de femme idéale ou de prince charmant diminue d’autant la valeur subjectivement perçue du timide, comme des vases communicants, plus l’autre a une côte qui monte en puissance puis la sienne diminue. D’où la croyance que si je perds le lien à cette personne si extraordinaire, je ne vaux rien, c’est moi qui fait mal… ce qui vient encore confirmer ma conviction que c’est moi qui dysfonctionne.
Dans la timidité, la peur est l’émotion primaire qui influe sur l’élan de vie nommé désir. Quand l’émotion domine, la raison se perd. Apprendre à prendre du recul permet de relativiser l’émotion, observer la peur et s’en distancier un moment pour reprendre la maIeutique socratique : « En quoi est-ce que c’est vrai ? En quoi est-ce faux ? En quoi est-ce un problème et en quoi est-ce grave ? »
D’autre part, l’objet du désir convoité est associé à un plaisir présent ou futur, l’attachement à la notion même de plaisir pressenti, imaginé, projeté, lie le timide à son objet de convoitise.
Mais ne sommes-nous pas balloté par la roue des désirs ? La tradition bouddhiste décrit le cercle infinis des désirs successivement contentés et frustrés comme étant le moteur de l’enfermement dans le cercle illusoire du Samsara.
Et si le timide pouvait s’arracher à l’illusion d’être heureux surtout s’il obtient ce qu’il désire le plus ?
Je suis heureux parce que je suis tout simplement et non pas parce que je m’approprie des objets, des qualités, des attributs, parce que je vis certaines expériences plutôt que d’autres..
En conclusion, devenir proactif quand on est inhibé c’est comme sauter à l’élastique pour d’autres..
Cela devient un art que de comprendre ce qui nous rend parfois si timoré dans certaines situations, l’origine de ces craintes installées comme des programmes archaïques, qui nous encombrent encore aujourd’hui, et qui peuvent se dégager comme un nuage qui passe si notre prise de conscience d’adulte s’ouvre à un espace plus vaste que celui de nos pensées auto-limitantes récurrentes, à la reconnaissance que précisément celles-ci ne sont que des pensées et non la réalité de ce que je suis.
Comment relaxer sans chercher forcément à lutter contre sa peur, puisque cette lutte participerait à augmenter la tension ? Plutôt contempler ces pensées jugeantes, s’en détacher, comme le titre d’un livre que l’on reposerait sur l’étagère de la bibliothèque, choisir un nouveau livre, un nouveau titre et l’emprunter aussi, en changer encore et encore…