Ici je me permets d’interroger un système de valeur édifié dans le milieu du développement personnel, des tantrikas, des chercheurs en spiritualité.
Cette valeur haute du féminin : « le féminin sacré » comme toute valeur érigée en forme de noblesse permet déjà à mon sens de se sentir appartenir à un groupe qui souhaite faire évoluer la société dans le bon sens du terme.
Et donc à se sentir doté d’une mission essentielle, d’être légitime à redorer le blason d’un féminin en perdition dans les sociétés d’héritage patriarcales.
Ce sentiment d’appartenance peut faire sens et permettre à un rééquilibrage des valeurs masculin-féminin de se mettre en place à condition que soit reconnue la dimension compensatrice et parfois réactive de cette convocation du sacré.
Le culte du féminin sacré dans sa formulation contemporaine peut en effet être vu comme une expression dans le milieu du New Age d’un prolongement du courant féministe.
L’histoire du féminisme commence dans la seconde partie du 19ème siècle lorsque le mot féminisme apparaît sous la plume d’Alexandre Dumas. Cependant dès la fin du moyen âge des auteurs critiquaient la place accordée aux femmes dans la société. Le discours féministe mit plusieurs siècles pour s’élaborer.
La première vague se réfère au 19ème et 20 ème sur les droits de vote, conditions de travail, et droits à l’éducation.
En France le mouvement féministe des années 1960 est un mouvement d’idées politiques et sociales qui partage un but commun qui est d’abolir les inégalités dont les femmes sont victimes.
Le MLF déstabilise le concept du patriarcat, pour chercher à rehausser un féminin dans le monde social et du travail.
Alors il est aisé de faire un pont entre le féminisme et le féminin sacré qui lui, sublime les valeurs du féminin dans les cultures néo-spiritualistes
Mais d’où part ce besoin de rendre sublime et divin le féminin ?
Associer le mot sacré au mot féminin, quel est le sens et l’intention du rapprochement de ces deux termes ?
A mon sens, le féminin sacré est utilisé comme moyen pour générer un retour à l’équilibre des polarités féminin/masculin par la voie mythique.
Il me paraît pertinent d’inscrire le mouvement du féminisme comme une conséquence et une réaction au modèle patriarcal de nos sociétés occidentales.
C’est une résurgence des déesses mères, des rites de la fécondité dans les sociétés primitives. Et pré-patriarcales.
Le patriarcat a été une réaction au matriarcat initial. Se sentant probablement en danger par un féminin hégémonique, il s’est installé par la guerre à partir du 4eme millénaire avant Jésus Christ à Sumer en Mésopotamie.
Les déesses mères ont été renversées et remplacés par les dieux pères olympiens, nordiques.
Les figures initiales les plus connues d’un dieu descendu au sein de l’humanité sont alors des hommes comme Abraham, Moise, Jésus Christ, Mahomet, issus des trois religions.
Ils reflètent des hommes messagers d’un dieu unique, portant une aura au delà de la condition humaine.
Le féminin sacré pourrait aussi prendre source à partir d’une envie de rééquilibrer ces figures fortes patriarcales qui à mon sens n’ont pas trouvé d’égal dans les figures mi dieu mi humain féminines.
La plus connue serait la vierge Marie dans le christianisme sinon le symbole du féminin sacré quitte la forme humaine et revêt la forme d’icône symbolique comme des déesses tantriques, bouddhistes, ou Isis, déesse préférée des pharaons qui elle, réunit en son sein les deux polarités * ou encore la shekkinah dans le judaïsme.
Le symbolisme a pour fonction entre autre de sublimer, de magnifier là où le réel échoue parfois.
Si l’on projette sur une femme vivant à notre époque une image de déesse par exemple, on vient ainsi par un tour de passe passe exalter notre imaginaire pour amener de la beauté, de la grâce à une représentation de l’ordinaire sur cette femme.
Le féminin sacré : une quête de l’absolu ramenée à la forme humaine ?
Mais quelle en est la conséquence ? Pourquoi a-t-on besoin de s’y adonner ? Voir la femme ordinaire devenir plus belle à nos yeux , et à ses yeux propres si l’on est une femme est un processus de sublimation qui permet de couvrir le tiède, le fade de l’ordinaire par du beau, de l’élévation, une créature qui ne serait presque plus de ce monde.
Mais l’opération de sublimation est à double tranchant, si la femme appartient aux dieux et déesses, elle doit s’en tenir à cette image de perfection de façon durable, et cet idéal ne peut se maintenir malheureusement, puisque la lumière n’existe pas sans l’ombre..
A un moment donné, sa beauté, sa reliance aux esprits de la terre mère ou des daikinis (le féminin sacré est très présent dans les milieux du néo chamanisme et du néo-tantrisme), sa subtilité, sa puissance son auréole va s’effriter quoiqu’il arrive et la déception sera à la hauteur de la vénération.
Nous sublimons également le goût des corps parfaits, qui se vérifie par notre fascination aux mannequins, à notre envie d’y ressembler pour plaire et répondre aux canons de l’époque. On peut transposer ce succès rendu médiatique de formes esthétiquement parfaites dans le champ du New Age par le féminin sacré.
Le patriarcat marque aussi un temps d’hégémonie, de dépréciation de la femme par l’homme incluant de la violence faite sur elle.
Le féminin sacré se construit par un féminin blessé qui prend sa revanche non dite sur ce masculin dominant.
A l’instar des amazones ou du mouvement féministe qui part en guerre très directement contre un masculin fort, le féminin sacré sous des oripeaux dorés comme un gant de velours porte un coup bas et indirect à ce masculin.
Pourquoi indirect ? Parce que les hommes ne sont pas critiqués ici mais doivent se résoudre à adorer et à rendre hommage à ce féminin sacré, sinon ils passent pour des hommes machos comme leurs prédécesseurs, et se trouvent affiliés aux « méchants », dominants, ou incultes manquant de subtilité…
Dans ce regard lié aux conséquences du patriarcat toujours présent de nos jours, les femmes restent souvent considérées comme des objets fragiles ou des proies à convoiter.
Pour ce qui est des proies fragiles, facilement prédatées par des hommes donc, le féminin sacré réhabilite la puissance à la femme, qui en se connectant à son féminin sacré s’enrichit de la force des déités qui ont un pouvoir infini.
Dès lors que le féminin se réduit à la fragilité, le masculin se réduit à de la toute puissance.
Un féminin fragile contre un masculin fort mais potentiellement brutal.
Cette dévalorisation que subit l’homme du 21 ème siècle rend compte d’une difficulté de positionnement où ils disent se sentir perdu entre un désir de rester viril (ce qui est également attendu de la part de beaucoup de femmes) et un désir de respecter la femme, de ne pas l’assujettir, ni la heurter par la force.
Certains vont émettre de la retenue pour conserver l’image d’un homme contemporain adapté et respectueux.
Pris dans cet étau, les hommes sont coincés, le désir premier du petit garçon est de contenter, de plaire à sa mère. Il peut même en arriver à sacrifier ses propres besoins ou désirs pour lui plaire.
Quand il devient adulte, celui qui a été contraint de se hisser sur la pointe des pieds pour faire plaisir à sa mère reproduira ce schéma.
il s’agira de satisfaire la femme avec qui il est en relation et non plus sa mère, mais la posture apprise est celle d’un homme qui pour se faire aimer, accepter d’elle doit s’adapter à ses attentes.
Combien d’hommes cherchent à contenter, en imaginant pouvoir faire jouir une femme par exemple, oui lui donner satisfaction en se contrôlant, en exigeant de lui même à être un bon adorateur.
Et à savoir que dès lors qu’il y a des enjeux de devenir performant la tension est si grande qu’ils se retrouvent démunis, impuissants, tout petit face à elle.
Cette relation va installer une symbiose qui s’exerce sur un mode parent-enfant. Et non adulte-adulte.
La sexualité célèbre la parité homme/femme : un vrai homme en face d’une vraie femme. Mais si par le féminin sacré, le regard que pose l’homme sur la femme est si adorateur qu’il la jauge sur un piédestal, il prend le risque de se diminuer d’autant. Et de frustrer le féminin par la même occasion.
Alors que s’il sait lui attribuer ces qualités d’incarnation de la déesse de manière temporaire, le temps d’une séquence amoureuse et sexuelle par exemple, il peut jouer à se vivre comme un adorateur de la femme, au service d’elle ce qui peut évidemment magnifier le moment, mais sans s’identifier de manière permanente à un nouveau paradigme : les adorateurs du féminin sacré. (forever)
Ces hommes soi disant évolués se soumettraient au féminin sacré, alors que le grand public masculin non évolué lui, ne connaîtrait pas les transports d’une sexualité supérieure dite tantrique par exemple.
Voir de manière plus large, les hommes qui ne connaissent pas le féminin sacré, sont évalués comme moins subtils, moins délicats, moins respectueux, il leur manque quelque chose d’essentiel…
Car ce féminin sacré initie les hommes, les éduquent aux valeurs du féminin, comme l’accueil, l’empathie, la bienveillance, la sensibilité…
On arrive ici dans l’inversement des rôles, ce sont les femmes qui deviennent indispensables à l’homme mais sans prendre un pouvoir par l’agressivité, le mécanisme est subtil, on pourrait ne pas voir que le féminin sacré est aussi une manière d’avoir raison, de trouver de la puissance, d’exercer une admiration sur l’autre sexe donc de prendre du pouvoir.
Le mot sacré est associé souvent à de la profondeur, du recueillement, du silence, des rituels, des pratiques comme la méditation, ce qui signifie qu’il y a un espace rendu sacré un autre profane.
Donc si vous êtes un adepte du féminin sacré, vous allez probablement devoir faire vivre les représentations du sacré sinon vous risquez d’être à contre courant et donc mal vu.
Il ne s’agit pas de descendre dans la vulgarité, il s’agit de rester dans l’alignement… sacré !
Cette dualisation entre des formes qui seraient sacrées et d’autres qui ne le seraient pas va générer des évaluations exigeantes et intolérantes, pleines d’attentes surtout.
Et se relier au sacré n’est-il pas un senti intérieur plutôt que de s’en remettre à des injonctions, suggestions externes ?
Est-ce que le protocole ou rituel qui contribue à rendre le sacré accessible n’est pas une manière de supposer que sans ce moyen il ne peut être perçu ?
Effectivement certains auront besoin de passer par des pratiques, des mots invoqués, des rituels, des techniques, une ambiance pour accéder au sacré, d’autres ont peut être accès au sacré de manière plus directe et peuvent se passer des formes rendues sacrées.
Le féminin sacré peut avoir comme fonction de se relier à la transcendance rien qu’en l’évoquant ou en choisissant les formes qu’il épouse.
Comment se détendre et accepter l’imperfection que nous sommes, notamment les hommes qui tentent de faire de leur mieux face à des femmes qu’ils trouvent complexes et incompréhensibles : elles souhaitent trouver chez l’homme sa verticalité mais les femmes blessées en ont peur et en ont besoin en même temps.
Par ailleurs, les femmes qui vont faire appel au féminin sacré, sont souvent ces femmes blessées ou fragiles qui vont se valoriser et rehausser leur estime d’elle même.
Il vaut mieux se connecter à une image haute qu’à une image basse pour se narcissiser, il vaut mieux s’affilier à Tara, Isis, La vierge, et d’autres saintes qu’à la prostituée sauf si on a choisi de se lier aux prostituées sacrées !
Le concept du masculin sacré a été crée assez récemment en regard du féminin sacré. De nouveau pour équilibrer et revaloriser le blason du masculin en face d’un féminin sacré élevé qui viendrait à manquer d’hommes initiés, à la hauteur de ces nouvelles femmes.
Mes observations tendent à montrer qu’il rencontre moins de succès que le féminin sacré alors que le mouvement des nouveaux guerriers se déploie.
Ce mouvement permet de valoriser les archétypes du masculin originel comme l’engagement, l’honneur, la fiabilité, le courage, la verticalité.
En résumé, l’androgynat c’est à dire un pôle masculin et féminin relativement équilibré chez chaque homme et chaque femme, (la femme solaire et l’homme lunaire de Paule Salomon par exemple*) pourrait traduire un rééquilibrage plus avantageux qui éviterait de demander aux femmes de trouver des postures de renversement comme le féminin sacré pour continuer de jouer la partition d’une recherche de l’égalité des sexes.
Véronique KOHN, le 5 août 2016
Bibliographie
* Isis l’éternelle : biographie d’un mythe féminin par Florence Quentin ( Broché 2012)
* La femme solaire et l’homme lunaire comme le dit Paule Salomon, pourquoi pas ?
* Les hommes se transforment, l’homme lunaire : Paule Salomon Chez Albin Michel 1999